Jacqueline Rush Lee : fossiles et squelettes de livres
Dans la série des artistes saisissants, nous vous proposons cette fois de découvrir Jacqueline Rush Lee. Originaire d’Irlande du Nord, elle vit et travaille aujourd’hui à Hawaii. Connue dans le monde entier, Jacqueline travaille le livre sur le plan conceptuel, dans une exploration du livre comme objet, en s’efforçant de révéler ou de transformer la nature de ce dernier.
Lee explore l’esthétique des livres comme objets culturels, avec chacun sa propre histoire et son propre sens. Intuitivement guidée, Jacqueline crée des œuvres cérébrales, évocatrices, avec une profondeur émotionnelle qui crée la confusion ; des œuvres philosophiques qui, malgré l’usage habituel de l’objet, ne disposent d’aucun mots pour délivrer leurs messages…
L’artiste a toujours considéré le livre comme un navire puissant d’expression, mais aussi de contemplation. Son travail se distingue par sa technique qui réinvente le livre et le représente sous un aspect sans cesse renouvelé, unique, reposant uniquement sur des composants réels des livres. Elle reste, toutefois, ouverte aux transformations physiques et métaphoriques qui se produisent dans son processus de travail. Tel un palimpseste, un document qui porte les traces du texte original dans son cadre, mais raconte une nouvelle histoire, comme un document visuel de son époque…
On remarquera dans ses œuvres une attention toute particulière portée à la forme et la surface, attention due à sa formation officielle en céramique. Œuvres difficiles à appréhender de prime abord, les livres ressemblant soit à quelque créature des mers ou à de drôles de champignons fossilisés, rendu résultant du fait que les livres sont façonnés dans le four d’un potier, à haute température, jusqu’à ce que, au lieu de se désintégrer, ils atteignent un fragile état « pétrifié ».
Endosquelette
Mais que l’on ne s’y trompe pas, il aura fallu à cette artiste des centaines de tentatives pour réussir à manier la fameuse technique lui permettant d’aboutir dans son travail. Une surveillance de tous les instants lors de la phase de « cuisson » car, plus encore que la température, la qualité même du livre, en fonction de sa datation, peut nuire à la réalisation.
En effet, depuis les années1940-50 la qualité du papier s’est améliorée, résistant ainsi davantage à la chaleur. Un travail laborieux, mais comme elle le dit : « le processus est le monde de l’artiste visuel ».
Une autre technique, enfin, vise à faire tremper les livres, qu’elle enroule ensuite dans une matière particulière, et dont résulte une forme semblable à une roue…
Enfin, Lee n’hésite pas à s’aventurer dans de nouvelles voies complètement différentes. Pour exemple, son œuvre Ode à Atsuo, empreinte d’un dictionnaire japonais ayant appartenu à un homme nommé Atsuo qui, avec soin, avait scotché les couvertures de l’ouvrage. Hommage à ces petites traces que les gens laissent au monde, hommage à ces désirs de retarder la marche du temps, comme pour tromper l’inéluctable fin.
À distance, la forme d’Ode à Atsuo ressemble non seulement à un livre ouvert, mais aussi à une vertèbre unique, fragile et humaine. Comme Marcia Morse l’a souligné dans un essai écrit en 2005 pour la Biennale du Musée d’Art Contemporain des artistes d’Hawaï, la colonne vertébrale est « un des points communs, parmi d’autres, entre la structure d’un livre et l’anatomie humaine «. La mortalité est très présente dans ce travail, mais comme une épitaphe plutôt qu’une tragédie.
Ode à Atsuo: fossiles de livre de Lee
Et, bien que son art soit controversé, l’artiste est accusée de profanation et de destruction du livre objet, Jacqueline Rush Lee se défend, affirmant qu’elle donne une autre vie aux objets, et précisant : « Je suis d’abord intéressée par l’expression de la voix propre des matériaux, ou par la compréhension que la société a de cette propre voix, et par les hypothèses que nous formulons à l’égard des matériaux ».
Lors du choix de livres pour son art, Lee est avant tout attirée, pas tant par le contenu, donc, que par la relation entre l’objet et le lecteur, l’ancien propriétaire, en s’imprégnant de chaque résidu que le lecteur laisse sur le volume.
Le but de tout ceci, me demanderez-vous ? L’artiste dit vouloir « masquer la nature de la matière », et, en masquant le fait que ce sont des livres, la matière change nos attentes par rapport aux livres, nous obligeant à regarder autrement ces volumes qui nous entourent. Lee nous rappelle que les livres sont, à certains égards, naturels ; composés de pâte de bois et de cuir, leur condition sous forme de livres n’est qu’une étape dans le cycle de la création mais aussi de la décomposition.
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Elizabeth Wadell dont le travail a permis cet article est rédactrice à La Conversation trimestrielle.
je ne connaissais pas cette artiste. Tu en parles merveilleusement bien, encore une fois le livre « affaire » de femmes, oui, parce qu’il s’agit de sensibilité et celle-ci sert la création, elle est, je le crois, au risque de faire hurler, installée depuis longtemps et ceci de façon durable dans cette partie de l’humanité que l’on dit être l’avenir de l’homme. Dans les mots mais aussi dans cette façon de s’approprier leurs écrins