« L’héritière de l’avant » de Denis Delepierre
« A la suite d’un cataclysme, le monde est dominé par la nature, incarnée par le cruel dieu Déreth. De nombreux dangers planent sans distinction sur les ouvriers et citadins, les deux communautés survivantes. Entre disparitions et sombres secrets, Léa, une jeune Ouvrière de douze ans, va braver ses peurs et tous les interdits de sa société, lorsque disparaît à son tour Becky, sa meilleure amie.
Ce premier roman de Denis Delepierre, passionnera les jeunes lecteurs et les sensibilisera à de nombreux thèmes bien actuels tel que l’environnement, le harcèlement scolaire, l’égalité des chances, le prosélytisme…
A propos de Denis Delepierre :
Né en 1984 à Mons, en Belgique, Denis Delepierre a rapidement découvert son désir de construire et de mettre en scène des histoires. Durant une bonne partie de son enfance, il s’est vu dans la peau d’un auteur de BD et a illustré une dizaine de récits avant de se tourner, au début de son adolescence, vers l’écriture.
Avec le temps, ce violon d’Ingres est devenu une passion. Aujourd’hui, il multiplie les projets en s’essayant à différents genres, du délire introspectif au roman d’horreur, en passant par le polar, le fantasy et le fantastique.
L’héritière de l’Avant est son premier roman.
Extrait :
— Becky et moi, on est allés au deuxième étage.
Elle écarquilla les yeux de surprise, mais n’eut pas le temps de répondre. Le garçon se lança dans une série d’explications confuses et larmoyantes de cette journée fatale. Voici quatre jours, Becky était arrivée à l’École avec un visage très soucieux. Ses yeux étaient rouges d’avoir pleuré et elle semblait de très méchante humeur. Bravant sa timidité, Jo s’était approché d’elle pour lui demander ce qui n’allait pas… et cette fois, elle ne l’avait pas envoyé balader.
— Elle avait vraiment besoin de parler. Et toi, t’étais pas encore arrivée, c’était trop tôt le matin. Elle m’a dit qu’elle s’était disputée avec sa mère, qu’elles s’étaient lancé des trucs à la figure. Elle voulait plus retourner chez elle. Elle a pas arrêté de parler, c’était fou. Avant ça, elle m’avait jamais sorti plus de trois mots.
— Et quoi, tu dis qu’après, elle a voulu aller au deuxième étage ?
— C’était l’heure de la classe. Elle a dit : « Ah non, pas moyen de me taper les cours aujourd’hui, je veux me changer les idées ! » Paraît qu’elle y était déjà montée avec toi, au deuxième, et qu’elle avait trouvé ça marrant. Elle m’a demandé si je voulais y aller avec elle cette fois-ci.
Léa n’eut pas besoin d’investiguer davantage pour comprendre la motivation de Jo. Il n’aurait pas loupé l’occasion d’accompagner Becky, pour enfin avoir une chance de démolir son image de peureux impotent. Elle imaginait bien une forte tête comme son amie traîner derrière elle un garçon de ce genre, entretenant ses illusions dans le simple but de disposer d’un compagnon de route, un bouche-trou qui lui servirait le temps de l’expédition. Une pensée amère contre Becky, qui avait profité de l’affection de Jo pour l’embarquer là-dedans. T’es pas croyable. Qu’est-ce que ça peut bien t’apporter de toujours faire ce qui est interdit ?
— Takkar vous est tombé dessus, ou quoi ?
— On l’a entendu marcher dans les couloirs. On venait à peine d’arriver. Becky voulait rester plus longtemps que la dernière fois, parce qu’elle avait pas eu le temps de tout voir. Moi, j’avais la trouille de Takkar, je voulais qu’on parte. À un moment, elle m’a planté là et elle est entrée dans une vieille classe toute noire. J’ai pas osé l’accompagner. Et après, je l’ai entendue crier.
Léa se raidit.
— C’était Takkar ?
— Non, il est arrivé après, par un autre côté. Quand je l’ai vu se pointer, je… j’ai pas pu rester là, je suis parti en courant. J’ai crié à Becky de me suivre. Je pensais qu’il allait me courir après, mais non. Je suis arrivé en bas tout seul. Et depuis, j’ai plus vu Becky. Takkar, je l’ai recroisé plusieurs fois, mais il m’a rien dit. Personne m’a rien dit, d’ailleurs, aucun prof m’a engueulé. Mais Takkar sait que j’étais là-bas. Il pourrait le raconter. Et Becky… elle est plus là.
Léa se tut un moment, dépassée par ce récit.
— Tu dis que tu l’as entendue crier. C’était quoi comme cri ?
— Je sais pas… comme si elle avait glissé, tu vois. Comme si elle perdait l’équilibre. Elle était surprise. Tout de suite après, Takkar est arrivé.
— Il t’a dit quelque chose ?
— Non, j’ai… j’ai foutu le camp tout de suite.
Il baissa la tête, hésitant avant d’ajouter :
— Il y a eu un autre bruit aussi. Au moment où elle a crié. Un bruit bizarre… Comme si quelqu’un avalait plein d’air, avec beaucoup de force. J’ai pas compris. Je crois que… je crois que c’était le mur. C’est le mur qui l’a mangée !
Léa s’abstint d’éclater de rire, son rêve ayant tari toute surprise possible. Elle aurait volontiers pensé que l’inquiétant Takkar était derrière la disparition de son amie, mais Jo se montra catégorique : l’homme avait débarqué d’une autre direction. Il ne se trouvait pas dans la pièce quand Becky y était entrée et avait crié. La disparition avait donc été provoquée par autre chose.
— Qu’est-ce que tu crois que c’était ?
— Le mur, je t’ai dit. Le deuxième étage est hanté. Les murs sont vivants, ils peuvent manger les gens. Je crois que c’était ça.
— C’est n’importe quoi, Jo. Becky n’a pas été mangée. Elle est toujours en vie et… enfermée quelque part.
— Peut-être, ouais. Mais qu’est-ce qu’on peut y faire ?
Face à cette question, la jeune fille n’eut besoin que de quelques secondes de réflexion. Beaucoup de choses lui passèrent par la tête : son enfance dans le cratère, ses problèmes à l’École, l’épaule que Becky lui avait prodiguée. Elle songea à sa propre personne, insignifiante dans l’univers impitoyable qui entourait Ouvriers et Citadins. À la logique de ce monde, sans pitié pour les plus faibles. Aux nuits horribles qu’elle passerait si ce rêve continuait à la hanter, et au sentiment de culpabilité qu’elle éprouverait en abandonnant son amie à son triste sort, quel qu’il fût. Alors elle répondit à Jo :
— On va retourner au deuxième étage et essayer de savoir ce qui lui est arrivé.
Le visage du gros garçon blêmit au point qu’elle faillit voir les os de son crâne à travers sa peau.
— Je retourne pas là-bas ! décréta-t-il dans un souffle. Pas question !
— Il faudra bien, pourtant. Tu dois me montrer la pièce où Becky est allée.
— T’es complètement folle ! Et Takkar ?
— Je m’en fous, de Takkar. Je dois retrouver Becky.
— Je viens pas, Léa !
— Alors t’es un trouillard ?
— Oui, je suis un trouillard ! Je retourne pas là-bas !
— Becky avait raison de pas t’aimer. Quand on voit ce que t’es prêt à faire pour elle…
Elle espérait que la provocation le pousserait à l’accompagner, mais il n’en fut rien. Pourtant, il devait impérativement venir. Elle avait besoin de lui pour retrouver la fameuse classe. Et puis, sous ses dehors bravaches, elle crevait de trouille autant que lui, et refusait d’aller là-bas toute seule. Elle devait tout faire pour cacher sa peur, sans quoi il n’accepterait jamais de la suivre. Il affirma pour la troisième fois que rien ne le ferait retourner au deuxième étage, et la bouscula pour s’en aller. Alors, en dernier recours, elle lui lança :
— Tu veux que je te dénonce ?
Il s’arrêta, abasourdi.
— Tu ferais pas ça ?
— Ben non, je le ferai pas, sauf si tu viens pas. Dis-moi encore une fois non et je fonce chez Chanessian pour tout lui balancer. Takkar s’en fout de t’avoir vu là-bas, mais le dirlo, ça va le rendre dingue. Il demandera à Takkar, qui lui confirmera que t’y étais.
— S… si tu fais ça, je te dénonce aussi ! Toi aussi, t’y es déjà allée !
— Tu peux toujours essayer. Moi, Takkar m’a pas vue.
Elle soutint son regard avec toute sa détermination, et Jo échoua à la dominer. Vaincu, il baissa la tête, trop naïf pour se figurer la faiblesse de la parole d’une Ouvrière contre celle d’un Citadin. Ravie de l’avoir amadoué, Léa mit au point les détails :
— Faut qu’on y aille cette nuit, mais faudra que ce soit bien tard. On se rejoint dans la cour d’ici quatre heures. Et t’as intérêt à être là.
Il ne put qu’acquiescer, avec sur le visage l’expression d’un condamné à mort vivant ses dernières heures. Attendrie par son accablement, elle ajouta d’une voix plus douce :
— On va faire ça pour Becky. Elle a besoin de nous. C’est à ça que ça sert, les amis.
— Je suis pas son ami, moi…
— Ça je le sais. Je te donne l’occasion de le devenir. Saute dessus.
Quelques instants plus tard, ils se séparèrent. Léa ne fut pas surprise, en détournant les yeux de Jo qui s’éloignait, de retrouver Wym à ses côtés.
— Tu vas enfin voir la zone interdite, lui dit-elle.
Mais il ne sourit pas : la situation le préoccupait autant qu’elle.
— Ça sera dangereux, fit-il. C’est assez flippant, son histoire. Tu y crois ?
— Oui, j’y crois.
— Alors où elle est, Becky, d’après toi ?
— J’en sais rien. J’espère juste qu’elle va bien, et qu’on la retrouvera.
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