Les baïnes invisibles, de Treplev

Les baïnes invisibles, de Treplev

Les baïnes invisibles, de Treplev

Ce premier roman du prometteur Treplev est une histoire unique et universelle à la fois. De la difficulté d’assumer ses différences à la peur du regard des autres, des lâchetés quotidiennes aux « j’aurais dû »… Tant de pièges qui jalonnent le quotidien de nos vies amoureuses.

C’est aussi une histoire de génération, de certitudes qu’on piétine et de peurs qui n’existent que dans nos têtes. Bref, une histoire d’amour d’aujourd’hui. Pimentée et drôle, bruyante et désordonnée. Vivante, tout simplement.

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Extrait du livre :

« Marie, c’était une île.

Il y a des femmes qui sont des chemins, qui vous emmènent ailleurs. On les emprunte à un tournant de nos vies et on les quitte quelques embranchements plus tard, pour prendre un autre cap ou faire demi-tour. Le plus souvent, j’ai eu la chance de parcourir des routes de montagne, sinueuses, excitantes, dangereuses parfois mais qui m’ont entraîné vers des sommets, qui m’ont tiré vers le haut. Les sorties de route venaient toujours de ma façon de conduire, intentionnelle ou non. Les lignes droites me font flipper. La routine est une mort par défaut qui vous nécrose et vous paralyse lentement. Le poison du « aujourd’hui » se répétant à l’infini, un supplice. Plante-moi des aiguilles à tricoter chauffées à blanc dans les globes oculaires plutôt que de m’obliger à vivre avec des morceaux d’asphalte si prévisibles, si lisses, si froids, si chiants.

D’autres femmes sont des feux d’artifice. Elles éblouissent tous ceux qui les approchent. On recherche leur présence, la vie paraît plus lumineuse, plus gaie en leur compagnie. Un spectacle merveilleux, mais éphémère. Une pause magique dont on sort ébloui, mais répétitive, dont on se lasse très vite et qui déçoit dès qu’on découvre l’envers du décor, les artificiers, les câbles, toute la machinerie. Un feu d’artifice, c’est beau de loin. De près, ça pue le soufre et explose les tympans.

Et il y a les îles.

Les îles, ce sont ces êtres qui vous donnent l’impression d’être arrivé à destination, que votre voyage est fini. On s’arrête là, on pose ses valises. Vous êtes sur un territoire qui se suffit à lui-même, un abri après des années de mers déchaînées, un Ithaque.

Personne n’est une île en soi. Cela se fait à deux. Celle qui va être une île pour moi sera une route, un feu d’artifice pour d’autres. Une île, ça naît d’une adoption commune. Une île, ça s’apprivoise.

On peut avoir plusieurs îles dans sa vie. J’en avais connu d’autres avant elle. Une île, ça s’entretient. Sinon, l’abri paradisiaque a vite fait de se transformer en un enfer tropical dont il est difficile de s’échapper. La plage de sable blanc et le lagon turquoise se métamorphosent en une falaise escarpée sur laquelle viennent se fracasser vos sentiments.

Marie, c’était une île. Version paradisiaque.

Physiquement, moralement, je me détendais en sa présence. Mon corps, mes soucis de taf, mes muscles, mes angoisses, le plus petit et insoupçonné de mes nerfs se mettaient en congé. Plus de tension, je vivais dans un autre rythme. Celui du bonheur je crois. En tout cas une forme de bonheur.

Alors pourquoi je n’arrivais pas à formuler simplement ça ?

Sur la table, mon téléphone muet se mit de nouveau à frétiller.

Texto d’un de mes amis.

Alors, il paraît que tu te tapes une petite jeune avec un cul d’enfer ? Voilà pourquoi on te voit moins. Cachottier. Profite. Quand t’en auras marre, fais signe.

Élégant, n’est-ce pas ? Ce pote a toujours eu cette faculté à sonner vulgaire, même sans le vouloir. Une cloche fêlée. Dissonante. En tout cas, le « sms arabe » était en marche. Je n’aimais pas le raccourci qu’il faisait. Dans son schéma, j’avais la chance d’avoir harponné le fantasme de tout trentenaire célibataire : belle et jeune. Le combo idéal. On s’imagine pouvoir leur faire sexuellement plein de trucs sans qu’elle ne se mette à penser, dans l’instant, couple, bague, présentation aux parents, robe blanche, bouquet jeté en l’air et tout le tintouin. Dans sa tête, j’avais touché le gros lot, cinq numéros et le complémentaire. Il n’envisageait pas un seul instant que je puisse m’attacher à une fille comme ça. Je le comprenais, vu mon passé et le nombre de fois où j’avais été le premier à réduire mes conquêtes à un assemblage de chair, à des pourvoyeuses de plaisir, de râles et d’ego.

J’ai bien eu envie de lui décocher une réponse cinglante, seulement mes doigts immobiles ont patienté vainement devant un écran vide. Je ne savais pas quoi lui répondre, comment le contredire.

Pourquoi, bordel, pourquoi ?

Le souvenir d’une de mes premières escapades diurnes avec Marie m’est revenu en tête.

Nous nous étions rendus à deux pas de chez moi, dans un café en bord de Garonne. Le printemps pointait le bout de son nez, les joggeurs étaient de sortie sur la promenade aménagée le long des quais. On avait passé une bonne heure en terrasse à vanner les faux runners, ceux qui ne couraient pas pour le sport, mais en pénitence. Ils n’aspiraient qu’à une chose : perdre, avant les premiers week-ends plage, les kilos accumulés tout au long des mois d’hiver, à grands coups de bouffes gargantuesques, de raclettes surdimensionnées et de poignées de noix de cajou gobées après un « allez, une dernière, on a le temps avant l’été », un verre de rosé pour faire passer le tout. Au premier rayon de soleil, panique. Antilopes affolées par l’odeur du lion proche, ils se mettaient à galoper frénétiquement, dans tous les sens. Très drôle de les voir enchaîner des foulées démesurées, rougeauds et repentants, regrettant, lui, le kebab inutile de quatre heures du matin pour éponger son alcoolémie juste avant d’aller se coucher ; elle, l’ajout de chantilly sur un dessert déjà confit de sucre et de crème pour atténuer le fait que son crush de la veille n’avait pas répondu à son message.

Un épisode de méchanceté gratuite, bon enfant. On les dévisageait un par un, imageant leurs péchés et inventant leurs chemins de croix à voix haute. Divertissement garanti. Après une énième quinte de rires, Marie était partie « se refaire une beauté », les femmes ayant une conception très « urinaire » de leur beauté. En revenant des toilettes, elle avait fait pivoter ma chaise, s’était plantée face à moi, debout, et m’avait roulé une galoche d’adolescent. Retour en quatrième B, madame Ronsard en prof principale. Trop de langue, trop vite, trop de salive, trop démonstratif, trop long, trop tout.

Elle s’était rassise, sans un mot, et avait fixé le fleuve droit devant, un orage dans le regard.

— Qu’est-ce qui se passe ? avais-je tenté, surpris par le changement radical d’atmosphère.

— Rien.

Un de ces « Rien » féminin, tellement chargé qu’il fallait y aller doucement pour le décortiquer. Sinon, ça pouvait vous exploser à la gueule. Mais ce n’était pas mon premier rodéo.

— Je t’ai raconté que j’ai été trois fois médaille d’or en confidence ? Bon, aux derniers mondiaux, j’ai eu peur, en finale, face à un Coréen aveugle. Mais j’ai conservé mon titre. Je suis le Teddy Riner, catégorie « raconter un secret ». Tu ne te sens sans doute pas à la hauteur de mon talent.

Un frémissement des lèvres, un éclat dans les iris.

— T’es con. C’est rien, je te dis. Un petit débile qui m’a draguée quand je suis revenue des toilettes.

— Il t’a touchée ?

— T’inquiète pas, Captain America, il a juste fait usage de consonnes et de voyelles. Je lui ai dit que j’étais avec quelqu’un en te désignant. Il m’a demandé si ça ne me dérangeait pas de « faire la pute » avec un « vieux vicieux qui pourrait être mon père ». Pas le temps de lui foutre une baffe qu’il s’était déjà évaporé.

Je ressentais physiquement l’empreinte de l’insulte sur ma joue. Fer rouge.

Elle a ajouté :

— Moi, je ne vois pas un état civil quand je te regarde. Je ressens juste le bien que tu me fais. Le reste, je m’en fous.

Elle m’a entraîné chez moi. On n’a pas dépassé le couloir de l’entrée. Dès la porte claquée, je l’ai plaquée contre le mur. On a haleté à en oublier cette anecdote.

Jusqu’à aujourd’hui.

Il était là le problème. »

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